Un réjouissant travail collectif
Clara Bauer, Daniel Pennac, vous avez déjà travaillé ensemble pour Le Journal d’un corps créé pour la scène l’an dernier au Théâtre des Bouffes du Nord. Comment avez-vous eu l’idée d’adapter L’Œil du loup pour la scène ?
Daniel Pennac : C’est une idée de Clara dont j’avais beaucoup aimé les trois mises en scène qu’elle a faites de mes lectures du Journal d’un corps au Théâtre des Bouffes du Nord, en 2012.
Clara Bauer : Quand j´ai « lu » pour la première fois L’Œil du loup, je l´ai « vu » avec Vincent Berger et Habib Dembelé au théâtre. Ces deux comédiens ont envahi mon regard et m’ont confirmé dans l’évidence que ce conte pouvait et devait prendre une dimension théâtrale. Comme nous avions créé un beau dialogue avec Daniel Pennac lors de la création du Journal d´un corps, je voulais qu´il participe à ma nouvelle création théâtrale.
Comment avez-vous procédé pour l’adaptation ?
DP : Dans un premier temps, Laurent Berger a fourni à Clara un gros travail d’adaptation du texte original qui a constitué la base sur laquelle ont commencé les répétitions, en Italie, au Centre culturel il Funaro de Pistoia, qui a accueilli notre compagnie. Puis, les improvisations des deux comédiens Habib Dembelé et Vincent Berger et les images qui naissaient dans la tête de Clara ont modifié ce premier bloc théâtral. L’adaptation a évolué en fonction de ces répétitions et j’y suis allé à mon tour de ma plume pour fixer ces moments de création spontanée.
Daniel Pennac, comment définiriez-vous votre rôle dans cette aventure ?
DP : Une immense curiosité quant au projet de Clara qui consistait à mettre en scène deux univers grouillant de personnages (mon Alaska et mes trois Afrique) avec deux comédiens seulement. La curiosité s’est transformée en enthousiasme quand j’ai vu les premiers résultats. Combien de corps ont Habib et Vincent ? L’enthousiasme m’a amené moi aussi à proposer quelques suggestions quand Clara me le demandait. Ce spectacle sera finalement le produit d’un réjouissant travail collectif, sous la détermination de Clara Bauer en Capitaine.
Clara Bauer, il s’agit de votre deuxième mise en scène – quelles sont vos influences théâtrales ? De quelle famille de théâtre êtes-vous issue ?
CB : Ma source est la vie elle-même. J’ai eu la chance de découvrir plusieurs types de théâtres sur divers continents. Les uns et les autres m’ont nourrie et donné l’envie d’exprimer ma perception du monde le plus simplement possible avec les moyens du bord.
Le spectacle pose aussi des questions sur le théâtre en train de se faire, me semble-t-il : vous parlez d’une « pièce dans la pièce », de quoi s’agit-il ?
CB : L’idée de construire pour le texte – préservé dans sa dimension narrative – un espace de jeu et un décor comparables à un coffre que l’on ouvre pour libérer des surprises, m’est apparue comme une clé. L’adaptation théâtrale intègre l’idée de pièce dans la pièce. Nous y voyons une histoire dans l’histoire, qui finissent par se lier pour devenir un seul et même conte ; c’est une structure qui fait écho à celle du livre. Le parti pris de la mise en scène épouse cette structure. Deux comédiens livrés à eux-mêmes répètent L’Œil du loup sur un plateau en cours de montage. Des incidents, provoqués par des techniciens au travail, viennent interrompre le fil de la narration et plongent les acteurs dans leurs questionnements, leur recherche. Ces incidents nous extraient du conte pour un temps, ils apportent des moments de respiration, ils sont aussi ceux qui inventent une histoire dans l’histoire. Peu à peu les comédiens sont gagnés par le conte, absorbés par l’histoire. Peu à peu les personnages sont absorbés par l’histoire de l’autre. Chacun est touché par l’histoire de l’autre.
Daniel Pennac, vous avez écrit L’Œil du loup en 1984. Quel rôle ce livre a-t-il joué dans votre carrière d’écrivain ? Quel est votre regard sur ce texte aujourd’hui, trente ans plus tard ? Les questions abordées sont-elles toujours d’actualité ?
DP : De tout ce que j’ai écrit, ce petit bouquin, dont le manuscrit ne dépassait pas les cinquante pages, reste mon « préféré », comme on dit dans les familles, et c’est peut-être le plus lu. Mais, limites de la littérature, les loups d’Alaska sont toujours aussi menacés et l’Afrique ne se porte guère mieux…
(novembre 2013)
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L'Œil du loup
Ce conte de Daniel Pennac, « père » de l’inoubliable Benjamin Malaussène et sa tribu bellevilloise, raconte l’amitié entre un loup, enfermé au zoo à Paris, et un jeune enfant qui vient d’arriver en France, planté devant sa cage. Suivent deux récits : celui du loup, sa vie sauvage en Alaska menacée par les hommes, sa capture et sa misère actuelle, puis celui d’Afrique, celui du petit garçon, qui sait si bien conter les histoires à tout le monde, y compris aux animaux. L’enfant plongeant dans l’œil du loup, le loup plongeant dans l’œil de l’enfant, deux destins à travers deux regards qui pourraient être les nôtres.