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Ces deux retours sur le spectacle ont été écrits dans le cadre d'un atelier d'écriture mené par le Comité métallos à la librairie Libralire.
« Anna Akhmatova est une poétesse russe qui connut un grand succès dans son pays, de 1912 à 1922, année où elle fut interdite de publication. Elle reçoit Lydia Tchoukovskaïa, une femme de lettres dont le mari, comme le fils d’Anna, est emprisonné. Nous sommes en 1938, en pleine purge stalinienne et leurs rencontres seront quasiment quotidiennes durant 25 ans pour tenter des démarches afin de faire libérer leurs proches, mais aussi pour parler poésie et littérature.
Lydia Tchoukovskaïa apprend par cœur les poèmes interdits d’Anna, avant de les brûler, telle les hommes livres de Fahrenheit 451, puis elle décide de transcrire leurs entretiens dans un journal. Anna Akhmatova, après la mort de Staline, sera peu à peu réhabilitée et, à 74 ans, deux ans avant sa mort, en 1966, elle est nommée à la présidence de l’Union des écrivains russes.
Sur le plateau, assises devant une table encombrée de livres, les comédiennes Johanna Korthals Altes et Isabelle Lafon, qui dirige la mise en scène, nous font revivre les entretiens clandestins de ces femmes d’exception qui égrènent, au fil de leurs rencontres, les événements dont elles se souviennent. Elles effectuent des va-et-vient dans le passé et le présent, au rythme des dates qu’elles retrouvent, et elles parcourent un recueil de photos comme de vieilles femmes qui ruminent les images de leur vie envolée.
Pour souligner l’aspect intime de ces rendez-vous interdits, Isabelle Lafon a choisi d’éclairer leurs deux visages uniquement avec deux lampes torches, que viennent augmenter celles tenues par les spectateurs du premier rang. Ce choix de mise en scène est intéressant à juste titre, car, comme l’a souligné Jean-Louis Comolli lors de sa rencontre en public avec la metteuse en scène pour interroger la dialectique fiction/réalité, les deux comédiennes sont de cette façon très peu éclairées et le noir du hors champ derrière et autour d’elle crée une impression de menace qui évoque celle de la dictature stalinienne.
Le hors champ, c’est aussi nous, les spectateurs, avec les lampes du premier rang braquées sur les deux visages, comme des lampes de tortionnaires, notre regard de spectateur devient une source de danger pour les comédiennes qui ressentent notre présence hors de leur temps.
Le cadre sur le visage des deux femmes nous les dévoile et le noir qui les entoure nous voile ce qu’on peut à peine imaginer, la cruauté de la dictature. On ne nous montre pas tout, et c’est cela la fonction de l’art, c’est cette manière de ramener de la puissance subjective, imparfaite et fragile, dans un monde qui la refuse et de transcender l’intemporalité de la souffrance humaine.
La dernière partie de leur entretien nous entraine dans la Russie de l’époque. Isabelle Lafon se met à parler parfaitement la langue de son grand-père, chassé de sa patrie en 1907, par les pogroms, comme de nombreux juifs à cette époque. La traduction simultanée de Johanna/Lydia, rend ce moment encore plus poignant, comme si nous assistions à une véritable interview de la poétesse révoltée et véhémente. Nous basculons dans la réalité de leur vie, comme si nous rentrions enfin dans leur champ et cette impression est renforcée par le retour de la lumière qui éclaire le plateau pour les derniers échanges des deux personnages.
Spectacle à voir absolument pour ne pas oublier que les femmes ont su résister de tout temps ! »
Galatée Hirigoyen
« En cette période où on célèbre le patrimoine, ces deux femmes illustrent parfaitement ce que peut être le matrimoine et permettent ainsi aux femmes d'avoir de telles figures comme modèles pour se légitimer en tant que auteurEs, ou autrices, artistes, et d'être les héritières d'un passé dont elles sont partie prenante au même titre que les hommes ! »
Michèle Husson-Rifflet
Ces deux textes ont été écrits dans le cadre d'un atelier d'écriture mené par le Comité métallos à la librairie Libralire (Paris 11e). Le Comité métallos est une association née en 2000 de la mobilisation pour la sauvegarde de la Maison des métallos. À présent hors les murs, le Comité métallos, imagine et mène des actions culturelles, artistiques et collectives à partir d'un maillage local dynamique, autour de questions citoyennes telles que la condition des femmes, l'environnement, la culture pour tous...
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Deux ampoules sur cinq
1938, nous sommes en pleine purge stalinienne. Anna Akhmatova, l'une des plus importantes poétesses russes du XXe siècle interdite de publication, reçoit Lydia Tchoukovskaïa, femme de lettres dont le mari, comme le fils d’Anna, est emprisonné. Durant 25 ans leurs rencontres seront quasi quotidiennes pour tenter des démarches afin de libérer leurs proches. Mais les deux femmes parlent aussi poésie, littérature, révoltes, pénurie... Leur résistance isolée, clandestine, en rappelle d’autres très actuelles aujourd’hui. Isabelle Lafon et Johanna Korthals Altes font revivre ces femmes d’exception, leur clandestinité aussi grâce à la fragile lumière des lampes torches tenues par des spectateurs.
"Ce face-à-face est une magnifique évocation, sobre et touchante, de la vie des artistes sous Staline".
Armelle Héliot, Figaro Magazine, sept. 2015
"C'est beau, parce que, quelle qu'elle soit, « c'est la vie », comme le disent les Russes, en français."
Brigitte Salino, Le Monde, décembre 2014
L’actrice Isabelle Lafon, dont on sait l’immense et délicat talent, interprétant le rôle d’Anna et Johanna Korthals Altes, une révélation comme on dit, celui de Lydia. Duo autant que dialogue faits de complicité."
Jean-Pierre Thibaudat, Rue89, décembre 2014