Démocratiser notre pensée par l'art
Un entretien avec Monique Pinçon-Charlot
Monique Pinçon-Charlot, j’ai envie de vous poser une question d’actualité : comment réagissez-vous à l’élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis ? N’est-ce pas un paradoxe – et un signe extrême de cette « violence des riches » – qu’un milliardaire soit porté au plus haut poste par des électeurs souvent pauvres ?
Oui, c’est un des faits marquants de cette violence des riches dont nous parlons, mais il n’est ni le premier ni le seul ; avant lui, il y a eu Berslusconi en Italie, puis Nicolas Sarkozy qui a été au service des milliardaires pendant de nombreuses années, même Barack Obama a œuvré sous le masque de la démocratie mais rien n’a véritablement changé… Autrement dit, la violence des riches, c’est plus qu’un titre de livre, c’est vraiment un moment dans le développement du système du capitalisme dans cette phase néolibérale que nous vivons. C’est un indicateur de plus que désormais, la politique est dans les mains des puissants, des industriels et des financiers. Ce sont eux-mêmes qui dictent leurs lois aux femmes et hommes politiques : la planète est définitivement mondialisée au service de la finance spéculative, et tous les jours, et quelque soit le champ d’activité économique ou sociale : les médias, la politique, la finance, l’agriculture, la pêche, les arts, les lettres… Partout, on retrouve les mêmes éléments de cette violence des plus puissants à l’égard des classes moyennes et populaires. C’est désenchanteur, certes, mais en même temps – et c’est précisément pourquoi nous avons accompagné cette initiative de Stéphane Gornikowski et la compagnie Vaguement compétitifs de porter notre travail sur un plateau de théâtre –, il est essentiel de transmettre des informations qui sont cachées, masquées sous le sceau du secret ou tout simplement de la censure ou l’autocensure, mais avec un autre type d’écriture que la nôtre.
Nous avons déjà participé à une bande dessinée Riche, pourquoi pas toi ?, une enquête-fiction sur l’argent signée Marion Montaigne (Dargaud, 2013), fait un livre pour la jeunesse illustré par Étienne Lécroart Pourquoi les riches sont-ils de plus en plus riches et les pauvres de plus en plus pauvres ? (éditions La ville brûle, 2014). Nous pensons important de varier les écritures et la façon de communiquer ce que nous avons eu la chance de découvrir grâce à plus de 30 ans d’enquête dans les beaux quartiers. Il faut le transmettre aux membres des classes populaires afin que les plus malmenés par ce néoliberalisme ne votent plus contre leur propres intérêts et comprennent qu’ils sont les dindons de la farce ! On leur fait miroiter un tas de choses pour mieux les piéger avec des mensonges. En effet, avec l’élection de Donald Trump, on est passé au cran au-dessus… Il est caricatural du système que je vous décris, mais il n’est qu’un maillon d’un dispositif que Michel et moi avons dévoilé.
On est de toute façon face à un tableau apocalyptique. Mais quand nous faisons des interventions, il y a toujours beaucoup de monde, il y a de nombreux intellectuels qui écrivent, il y a toutes formes d’actions citoyennes qui permettent de penser une autre société et d’interroger l’immaturité du système qu’on nous impose. Nous sommes sidérés par cette violence et nous n’arrivons pas à comprendre comment il est possible que ça continue. D’où l’importance de démocratiser notre parole à travers une bande dessinée ou cette pièce de théâtre. L’unique façon d’imaginer un soulèvement, un changement, c’est précisément de créer des sensations, du désir, de la poésie, au-delà de la connaissance. La réunion fait la force, ensemble nous pouvons retrouver la dignité, la joie de vivre. Se battre, c’est beau, c’est même extraordinaire, une force solidaire émerge, une énergie commune qui nous porte et nous renforce, un bonheur qui nous transporte ! Cette pièce de théâtre est là pour vivre des émotions collectivement et pour montrer que c’est collectivement que nous pouvons changer une société aux inégalités insupportables !
Entretien réalisé en novembre 2016
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La Violence des riches
Sociologues militants, Monique Pinçon-Charlot et Michel Pinçon dénoncent la violence sociale inouïe qui se traduit par la pauvreté des uns et la richesse des autres. En complicité avec eux, la compagnie Vaguement Compétitifs s’est saisie de leurs travaux et propose pour la toute première fois une adaptation pour la scène.
Représentations complètes. Liste d'attente 30min avant, chaque soir.