Un petit pas de côté

Un entretien avec Marjolijn van Heemstra

Marjolijn van Heemstra a été confrontée très jeune à la diversité culturelle et à la question de la couleur de peau : « Pendant mes années dans une école à majorité “noire” de Rotterdam, j’étais confrontée à
ce qu’être “blanche” veut dire. J’étais différente, et mal à l’aise. » C’est ainsi que la jeune femme, pétrie des idéaux humanistes qu’elle a reçus en héritage de ses parents, se pose la question de l’appartenance. « J’ai réalisé que la plupart de mes camarades issus de familles migrantes se fichaient de mes idées de liens universels et de tolérance. Pour eux, il s’agissait de trouver un équilibre entre les attentes de leurs parents et celles de la société. Et moi, à qui est-ce que j’appartiens ? Uniquement à ma famille, mon pays, ou à une foule d’êtres humains de toutes les couleurs et de toutes les cultures ? »
À côté de ses études, elle participe par hasard à un atelier d’écriture au Théâtre Frascati d’Amsterdam. « Je ne connaissais rien au théâtre. Autodidacte, j’ai alors développé une forme très simple de théâtre documentaire : un plateau presque vide et l’adresse directe au public. Je ne suis pas actrice, je ne vais pas faire semblant de jouer ». Le Frascati lui propose une bourse d’étude pour travailler sur son projet qu’elle conçoit dès le départ comme un triptyque. « Je suis tombée sur une citation de Marc Bloch qui postule qu’on est l’enfant de son époque plutôt que celui de ses parents. J’ai eu l’idée d’aller à la recherche de personnes nées le même jour que moi, qui devraient constituer ma famille – une famille horizontale plutôt que celle, verticale, dans laquelle la société nous inscrit. C’est le point de départ de Family ’81. » Elle entre en contact avec une Libanaise, une Sud-Africaine et un Indien avec lesquels elle entretient une correspondance avant de se rendre chez eux. La pièce mêle leurs souvenirs d’enfance au récit de son voyage. « Je tiens à montrer comment je “filtre”, comment “j’interprète” ce qu’ils m’ont confié. Ce petit pas de côté m’était nécessaire par honnêteté et est devenu partie intégrante de mon théâtre – une saine distance qui me permet de me moquer de moi-même, de mon idéalisme, de ma position de privilégiée. »
Elle découvre chez son correspondant Satchit Puranik le DVD du Mahâbhârata de Peter Brook. « Petite, j’avais adoré ce film, et lui aussi. C’était la première fois que je voyais les membres d’une même famille interprétés par des acteurs d’origine africaine, européenne, indienne… Ce qui avait fait scandale en Inde puisque cette famille était des dieux hindous. Nous avons organisé un séminaire en Inde, et les réactions étaient virulentes. Sur le plateau, nous reconstituons ces paroles, nous jouons des extraits du Mahâbhârata, nous en livrons notre propre version. »
Lorsque Satchit doit se rendre aux Pays-Bas, Marjolijn se rend compte de la difficulté d’obtenir un visa. « La plus grande partie de l’humanité ne peut pas voyager librement en Occident. J’ai alors cherché comment contourner le système et j’ai découvert l’histoire incroyable de Garry Davis, qui voyage depuis soixante ans avec son passeport de “citoyen du monde” : grâce à ses connaissances juridiques et son charisme, il s’en est toujours sorti. Quand j’ai voulu, moi, voyager avec mon passeport de citoyenne du monde, j’ai été arrêtée à la frontière ! C’est l’histoire de mon voyage, de mon interrogatoire par la police et celle de Garry Davis que je raconte dans ma troisième pièce, dans un décor en carton de comédie musicale. Pour Garry Davis, qui a été acteur à Broadway dans sa jeunesse, le monde est un théâtre, les policiers ont de magnifiques costumes et jouent très bien leur rôle, à nous d’être de meilleurs acteurs pour les convaincre… »

Propos recueillis en juillet 2013

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Mahâbhârata

Marjolijn van Heemstra et Satchik Puranik revisitent à travers leur version du Mahâbhârata cette « interculturalité » si prisée aujourd’hui, pour finalement requalifier le monde contemporain : globalisé certes, mais toujours en quête de véritables liens entre les hommes.
Mahâbhârata est le 1er spectacle d’un triptyque sur le monde globalisé créé par Marjolijn van Heemstra : Family ‘81 sera présenté en novembre et Garry Davis en décembre à la Maison des métallos.

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Family '81

Marjolijn van Heemstra est partie à la recherche de personnes nées comme elle en 1981 à travers le monde. Une tentative de saisir l’indéfectible chaîne d’événements qui forme ce que l’on appelle l’histoire collective et au-delà, l’histoire d’une génération. Dans ce monde globalisé, quels sont les liens invisibles qui nous relient ?

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Garry Davis

En mélangeant sa propre histoire à celle de Garry Davis, Marjolijn van Heemstra raconte comment elle a été interrogée par la police des frontières en voulant voyager avec son passeport de citoyen du monde, pourquoi son amie libanaise n’a pas pu la rejoindre… Elle nous parle d’idéalisme et d’activisme, d’égalité et de paix et nous fait réfléchir à travers ce récit documentaire sur notre propre engagement.