Une vraie force d'écriture

Un entretien avec Géraldine Bénichou

Géraldine, vous avez cheminé ensemble avec Leïla Anis pour aboutir à cette création de Fille de. Comment votre collaboration s’est-elle passée ?
Avec ma compagnie Le Théâtre du Grabuge implantée en région lyonnaise, nous menons autour de nos créations des projets artistiques partagés ; en 2010, autour du Cri d’Antigone – que nous avons d’ailleurs présenté à la Maison des métallos en octobre 2010 –, nous avons créé à Villeurbanne une forme avec un choeur d’une quarantaine de femmes des quartiers de la banlieue lyonnaise qui n’avaient pas de pratique artistique. Le fil
rouge en était Le Cri d’Antigone auquel ces femmes répondaient par des paroles autour de questions comme la résistance, le fait de dire non, l’acceptation… Cette forme que j’ai mise en scène s’appelait Ne pas pleurer, ne pas me taire et s’est construite dans des ateliers de chant et d’écriture auxquels Leïla, jeune comédienne de 25 ans, a participé et dans lesquels elle a écrit son premier texte-poème sur son départ d’Afrique de l’Est.
Puis j’ai fait appel à elle pour Pose ta valise, un autre de nos projets participatifs réguliers– c’est d’ailleurs là que nous avons rencontré des personnes dont le témoignage figurait dans Les Illusion du provisoire qu’on a joué ici aux Métallos en juin 2013. Il s’agit de choeurs de femmes qui chantent en français et en arabe des chansons écrites en France par des compositeurs algériens, entremêlés de récits qu’elles ont écrits sur leur exil – qu’il s’agisse d’un départ d’un pays lointain ou bien d’une séparation sans avoir jamais changé de quartier. Pour créer un fil conducteur à travers ces récits multiples, j’ai proposé à Leïla d’écrire les images de son exil à elle. Ces textes seront la matrice de l’écriture de Fille de. Leïla dit souvent que le fait d’être sur le plateau avec toutes ces femmes lui a permis de parler non pas seulement en son nom à elle, mais de réaliser que son histoire à elle porte l’histoire de ces femmes… Je trouvais qu’elle avait une vraie force d’écriture, alors je lui ai proposé de continuer, et la pièce s’est construite ainsi… J’ai été très heureuse de l’accompagner dans ce travail qu’elle faisait en toute liberté. C’est vraiment un grand bonheur que d’avoir assisté à la naissance d’une voix.
J’avais donné le texte à très peu de personnes, dont Philippe Mourrat, directeur de la Maison des métallos, qui a de suite manifesté son soutien et qui a rendu la création possible. La pièce a été ensuite sélectionnée par la Biennale jeune créateur Europe-Méditerranée puis, en octobre 2012, Leïla Anis devient lauréate des Journées de Lyon des auteurs de théâtre 2012, l’un des plus importants concours d’écriture théâtrale. Elle a également reçu l’aide à la création du Centre national du Théâtre et nous avons fait des lectures cet été au Festival d’Avignon.
Il est devenu très vite évident que j’allais réaliser une mise en scène du texte, tout comme il était évident que c’était elle qui allait dire ce monologue sur le plateau. Le texte a été édité en juin 2013. Nous sommes actuellement en répétition.

(novembre 2013)

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Théâtre

FILLE DE - EXTRAIT 7 / THÉÂTRE DU GRABUGE / 2014

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Fille de

« Mon exil porte en lui tant de contradictions que j’ai toujours préféré le taire. Pourquoi raconter que je suis étrangère de partout ? Ni d’ici ni de là-bas, ça intéresse qui une fille de l’entre-rien ? » C’est ainsi que commence ce récit d’un exil ou plutôt d’un devenir, celui d’une jeune femme emportée adolescente loin de son pays en Afrique de l’Est vers la France.