La Ville-Monde

Un entretien avec Gilles Rondot (février 2014)

D’artiste plasticien dans l’espace public, vous êtes passé à l’accompagnement de jeunes danseurs hip hop jusqu’à leur reconnaissance « officielle ». Aujourd’hui, vous vous consacrez à nouveau aux arts plastiques via la photographie. Quel est le lien qui vous guide ?
Ma pratique artistique dans l’espace public avait pour motivation la recherche d’une relation autre avec le public. J’avais envie d’une pratique qui soit un outil de dialogue, qui fabrique du lien social, entre centre et périphérie, entre culture institutionnelle et culture populaire. En observant, à la fin des années quatre-vingt et au début des années quatre-vingt-dix, le hip hop naissant, j’avais le pressentiment qu’il se passait quelque chose d’intéressant à cet endroit. Cette forme artistique issue des quartiers populaires, avec une dimension sociale, politique et culturelle, pouvait avoir la même fonction que ce que je défendais dans mes projets d’art public. Je me suis alors engagé aux côtés du mouvement hip hop en travaillant à sa reconnaissance par les institutions et en nourrissant le travail de la compagnie Accrorap, ce qui a permis d’élargir les publics des lieux de diffusion du spectacle vivant, de créer des emplois et de donner une autre image des quartiers.
Le hip hop a très vite été reconnu à l’étranger et cela m’a aidé à construire de nombreux projets internationaux (Inde, Brésil, Algérie, Cuba…) grâce auxquels j’ai pu approfondir le regard que je portais sur le monde. Je reviens aujourd’hui aux arts plastiques en utilisant la photographie avec tout l’acquis lié à mes nombreux voyages et à mon point de vue sur la transformation du monde.

Vous guettez dans vos photographies les signes de l’uniformisation de la planète. Y a-t-il également des signes de résistance ?
Le monde a beaucoup changé ces vingt dernières années. Il y a des signes d’uniformisation liés au développement du capitalisme financier. Les valeurs portées par le consumérisme se déclinent en images publicitaires standardisées qui induisent des comportements uniformes à l’intérieur de ce que l’on appelle les classes moyennes. À côté, continuent à exister d’autres modes de vie. C’est d’ailleurs le sujet de la plupart de mes photographies. Il ne s’agit donc pas vraiment de résistance mais plutôt de cohabitation entre différents mondes qui se juxtaposent…

Vous photographiez le monde depuis vingt ans. Avez-vous constaté des moments d’accélération ou de ralentissement de la mondialisation ? Des différences d’un pays à l’autre ?
La mondialisation s’observe dans la transformation des villes. Une « architecture internationale » rend les nouveaux quartiers tous plus ou moins semblables. Les centres commerciaux sont les mêmes en Asie, au Moyen-Orient et en Amérique latine, les classes moyennes y ont accès aux mêmes marques de vêtements, de produits… À l’opposé, les classes populaires achètent partout dans le monde les mêmes objets kitsch fabriqués en Chine. Il y a une différence en Europe où l’on est attaché au patrimoine, ce qui a pour conséquence la préservation des centres ville anciens, mais avec le risque d’en faire des villes-musées. Le phénomène marquant ces dernières années est l’émergence d’une sorte de « conscience du monde ». En Inde, par exemple, les gens offrent leur image « pour qu’elle aille jusqu’en Amérique ». C’est une métaphore pour dire qu’« on existe ».

Pour cette exposition, vous allez travailler dans le quartier de Belleville-Ménilmontant. Qu’imaginez-vous y trouver ?
Ce quartier est représentatif de la ville-monde qui s’invente à différents endroits de la planète. Ce quartier pose la question du « vivre-ensemble », j’aime m’y promener car on y voyage entre les cultures, entre les continents.  Paradoxalement, la mondialisation a fait de la diversité une valeur. Comment être soi parmi les autres ? Comment préserver des identités dans un monde global ? Comment faire dialoguer les cultures ?

En lien avec...

7 mai -> 1er juin 2014
Exposition  /  Photographie

inde-air-vest.jpg

De là-bas et d'ici

Gilles Rondot photographie le monde en mouvement. En photographiant des scènes de rue et en gardant le même point de vue d’un continent à l’autre, les signes de la mondialisation apparaissent.
Gilles Rondot a mené un atelier de photographie à la Maison des métallos en février pour travailler sur le quartier de Belleville-Ménilmontant. Ici aussi, on peut traquer les signes de la mondialisation et de la co-existence des cultures. L’artiste a choisi certaines images pour faire partie de l’exposition : de là-bas et d’ici.