Questionner l'idéal féminin
Entretien avec Carole Thibaut (février 2014)
Comment, et pourquoi, avez-vous créé ce spectacle dont vous êtes à la fois l’auteure, la metteure en scène et l’interprète ?
Précisons tout d’abord que les féminins de ces mots sont « autrice » et « metteuse en scène ». Ce sont les formes grammaticales exactes. « Autrice » a été censuré par l’Académie française au XVIIe siècle, quand la fonction d’auteur a commencé à prendre une importance politique et symbolique. La femme en a alors été exclue. En revanche c’est à cette époque qu’on a créé le féminin d’acteur, qui n’existait pas jusque là. La femme ne pouvait donc plus écrire ou créer, mais elle pouvait interpréter les œuvres écrites et créées par les hommes… Il n’empêche que, des autrices, il en a toujours existé, et qu’on retrouve ce mot par exemple dans les registres de Lagrange (comédien et administrateur de la troupe de Molière). Beaucoup de textes d’autrices ont été joués à la Comédie-Française et dans les grands théâtres à travers les siècles, mais elles ont été littéralement effacées par l’histoire. Cette absence d’héritage est très préjudiciable aux artistes femmes, qui ont ainsi toujours l’impression de devoir repartir de zéro pour exister, sans modèles ni exemples féminins auxquels se référer, et ce depuis toujours. On retrouve ces mêmes angoisses et sensations à travers les écrits des artistes femmes, à travers toutes les époques…
Je n’ai pas répondu à la question, mais indirectement, si, je crois.
Le spectacle en est à sa troisième version. Aux Métallos, nous en verrons une quatrième ?
Il s’agit d’un spectacle-performance, en constante mutation. Je ne sais pas encore exactement ce que sera Fantaisies aux Métallos, comme à chaque nouvelle représentation, même si la base, l’axe dramaturgique, la structure, la scénographie, restent toujours les mêmes. C’est un spectacle composé d’une dizaine de modules, j’en réécris certains, j’en crée parfois de nouveaux, j’en enlève, au gré de mes fantaisies ou de l’actualité. D’où le titre… Mais il s’agit toujours de questionner les représentations du féminin et la construction de l’idéal féminin, et ce, à travers mes expériences intimes, personnelles, qui évoluent forcément au fil du temps. Et en mai cela fera 5 ans que ces Fantaisies existent…
Vous dites que l’idéal féminin est un « oignon à éplucher ». Qu’entendez-vous par là ?
Comme un oignon, l’idéal féminin n’a pas de centre, de noyau. Au fur et à mesure qu’on le déshabille, qu’on le débarrasse de toutes ses peaux, de ses couches de représentations, il s’amenuise. À la fin, il n’en reste plus rien. L’idéal féminin n’est constitué que des couches successives de ses propres représentations (sociales, culturelles, historiques). Il n’a aucune réalité tangible, ne renferme aucune réalité biologique, physiologique, « naturelle ». La femme idéale peut donc s’effeuiller, s’éplucher, à l’infini de ses représentations. Elle n’existe pas. Comme toute forme d’idéal, d’ailleurs, ainsi
que le nom l’indique.
La « question du genre » est en ce moment sur toutes les lèvres...
Oui. Et il n’est que temps. Parce que la « question » du genre dirige et conditionne toutes nos vies. Et qu’en prendre conscience est le premier pas vers une meilleure gestion des injonctions qu’il comporte, voire une possibilité de se libérer de certaines contraintes qu’il impose, trop limitantes, infériorisantes ou enfermantes.
Votre théâtre est-il un théâtre engagé ?
Dans la mesure où il est le fait d’une artiste engagée, dans la mesure où il questionne les liens entre l’individu et le collectif, entre l’intime et le politique, oui, je crois. Mais je n’aime rien moins que les spectacles porteurs de messages, cherchant à véhiculer des idées toutes faites, des visions unilatérales du monde. Pour moi le théâtre n’est qu’une question posée, ouverte, qui
ne cherche pas à donner des réponses, juste à insuffler du doute, de l’émerveillement, en mettant en lumière le tremblement et la fragilité humaine
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Fantaisies
Dans ce spectacle-performance, Carole Thibaut, auteure, metteure en scène et comédienne, poursuit avec délectation son dégommage des stéréotypes liés à la soi-disant nature féminine – comme l’instinct maternel ou le phallocentrisme... Elle s’attaque à toutes les oppressions infligées au nom des religions, traditions, cultures ou règles de bonne conduite et démonte de façon jubilatoire la mécanique d’oppression qui se cache derrière la notion d’idéal féminin et ses représentations.