L'Humain au centre, toujours

Un entretien avec Robin Renucci

Un entretien avec Robin Renucci

Robin Renucci, vous êtes une vedette du cinéma, de la télévision et du théâtre, metteur en scène, directeur des Tréteaux de France… mais je crois que votre véritable passion, c’est avant tout l’éducation populaire ?
Oui tout à fait ! Pour donner quelques jalons, je suis par ma mère d’origine corse et bourguignon par mon père. J’ai été marqué par cette double culture, avec un bilinguisme français et corse, et l’idée toute naturelle que le frottement à l’Autre est un endroit d’enrichis-sement plutôt que d’affrontement. Le théâtre a fait irruption dans ma vie de tout jeune homme : ma mère étant couturière, un jour les comédiens du Théâtre national de Strasbourg ont débarqué chez nous pour faire réparer des costumes. Puis, à l’âge de 16 ans, j’ai participé à un stage de théâtre organisé par un CTP, un Conseiller Technique et Pédagogique : mon premier contact avec le mouvement de l’éducation populaire. J’ai ainsi été relié à une famille théâtrale et un courant d’idées dont les maîtres mots étaient et sont toujours l’émancipation par la culture, l’interaction intergénérationnelle, l’enrichissement mutuel. J’ai rencontré Hubert Gignoux, Jean Dasté, Jean Vilar, les pionniers de la décentralisation théâtrale. Après le bac, je suis monté à Paris pour prendre des cours à l’École Dullin, puis je suis entré au Conservatoire national supérieur. J’ai eu la chance de tourner très vite dans des films et j’ai été propulsé dans le monde du cinéma, du vedettariat… ma carrière était lancée, mais j’étais loin de cet univers populaire que j’affectionne tant.

Vous avez donc choisi une carrière « sur le terrain » ?
Le théâtre est pour moi lié au travail pratique avant tout, comme un menuisier qui met la main à l’ouvrage, avec une transmission horizontale du savoir. Je me considère plus comme un artisan
du théâtre qu’un artiste ! J’ai eu la chance d’avoir une famille, d’élever quatre enfants, je me suis éloigné un peu du cinéma même si je fais encore régulièrement des films. J’ai construit en Corse un endroit où d’autres jeunes gens du monde entier peuvent se former au théâtre : l’Aria, un endroit magnifique dans mon village, où ont lieu chaque été depuis 20 ans les Rencontres internationales du théâtre en Corse. On y forme tout au long de l’année les membres de la chaîne de l’enseignement : des professeurs, des jeunes, des acteurs profes-sionnels. Quand j’ai été nommé directeur des Tréteaux de France en 2011, il s’agissait de me mettre au service d’un projet non pas politicien mais politique. Nous faisons un théâtre pour tous, avec les mêmes décors qui peuvent être installés aussi bien dans un Théâtre national, un champ ou bien une salle des fêtes d’un village. Un théâtre qui donne de la joie mais qui fait réfléchir, qui mise sur l’intelligence du public. Nous mettons en œuvre un travail de médiation avec les comédiens de la troupe des Tréteaux que j’appelle « les rémouleurs » : ils aiguisent les outils des autres… car tout le monde est capable d’un travail artistique et pratique, sans même le savoir. Les gens apportent leur propre vérité et expriment ce qu’ils sont, souvent mieux que les acteurs professionnels. C’est ça l’éducation populaire : ne pas faire pour les gens mais avec les gens. Création, transmission, formation et éduca-tion populaire peuvent se conjuguer.

C’est un projet éminemment politique !
C’est de la politique active qui œuvre à ce que les citoyens aient davantage de discernement, davantage d’esprit critique, davantage la capacité de prendre la parole. Je m’adresse aux 60% de gens qui sont souvent délaissés - et alors tentés par les extrémismes. On va là où l’on vote Front national, on travaille avec les gens. Ce dont ils ont besoin, ce n’est pas de leur apporter des solutions, mais d’humanité, qu’on les écoute, qu’on les aide à s’exprimer sans les juger, sans évaluation. Ils savent faire le tri entre ce qui les rabaisse et ce qui les grandit...

Tout cela demande une énergie folle et une foi inébranlable en l’humanité, non ?
Bien sûr, il faut beaucoup d’énergie et ne pas être marqué par un sceau politicien, car même si la pensée de gauche était à l’origine du mouvement d’éducation populaire, il faut aujourd’hui refuser le clanisme, refuser l’entre soi, repousser les frontières, travailler avec les gens. C’est un tout petit geste, mais ce tout petit-là, je le crois essentiel : une pratique qui permette un enrichissement mutuel entre amateurs, professionnels, étrangers, éducateurs… L’éducation par l’art, c’est tout cela, et venir à la Maison des métallos en fait évidemment partie. Comme toutes les pièces des Tréteaux de France, L’Avaleur est là pour faire penser, émanciper, en donnant de la joie. Si je suis dans le constat de la fin d’une ère du capitalisme, je ne suis pas catastrophiste pour autant et je crois à l’avenir, avec au centre l’humain, toujours.

Entretien réalisé en novembre 2016

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Théâtre

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L'Avaleur

Cette pièce de l’auteur contemporain américain Jerry Sterner, mise en scène par Robin Renucci, dénonce avec un humour acerbe la destruction des secteurs industriels par la finance. L’avaleur, génie du rachat d’entreprise, prédateur, drôle, séduisant, possède un furieux appétit de pouvoir, d’argent, de tout. Il va « dévorer » devant nous une entreprise florissante et détruire l’équilibre de l’entreprise traditionnelle au profit d’un système capitaliste destructeur…